OBJECTIFS DU COLLOQUE A PARIS

 

 

 

 

 

L’ISPC cherche depuis une vingtaine d’années à établir des liens avec la France, ce colloque a pour objectif de concrétiser cette mise en relation en ouvrant la possibilité de liens forts à l’avenir.

La philosophie de la chimie est un domaine de réflexion peu connu, en pleine expansion, qui ouvre des perspectives de réflexion sur les sciences et les techniques, souvent différentes et complémentaires des perspectives ouvertes par la philosophie de la physique, de la biologie et des mathématiques. Elle n’est pas enseignée en France, et l’est très peu à travers le monde. Science et industrie à la fois, la chimie ne correspond pas fidèlement aux repères académiques classiques qui séparent, bien souvent, la philosophie des sciences et la philosophie des techniques. Ce colloque a pour idée de participer à la promotion de ce nouveau domaine de recherche en France et entend, ce faisant, favoriser le dialogue entre philosophes, historiens, chimistes, épistémologues, sociologues et anthropologues et donner la parole aux différentes approches en respectant leurs singularités.

Il permettra d’aborder certaines questions centrales que pose cette science-industrie : réduction de la science chimique à la physique quantique ou émergence d’un niveau d’organisation irréductible, traits absolus ou relationnels des éléments chimiques, propriétés catégoriques ou dispositionnelles, métaphysique des substances, insertion de la chimie dans un réseau socio-historique étendu à l’industrie, étude de la chimie selon l’axe science-technique-société-environnement, etc. Les questions épistémologiques, ontologiques, politiques et éthiques feront l’objet d’une attention toute particulière. Avec la chimie, c’est l’ensemble des critères et catégories, souvent à vocation dichotomique ou dialectique, qui servent à penser la science et les techniques isolées ou situées en société, qui pose problème. Les frontières entre le naturel et l’artificiel, la théorie et la pratique, la permanence et le changement, l’essence et l’accident, les propriétés relationnelles et intrinsèques, mais aussi les alternatives qui nous sont proposées entre des approches donnant priorité aux relations ou aux relata, au tout ou aux parties, à la réduction ou à l’émergence, aux facteurs internes ou externes aux sciences, aux individus ou aux structures, n’ont cessé d’être déplacées par le travail des chimistes et, plus récemment, des philosophes de la chimie. Il ne s’agit pas, bien entendu, de tout chambouler, sans discernement, mais, au contraire, d’apporter à leur propos ou à propos de leurs fonctions dans la constitution et le fonctionnement des savoirs, un regard neuf, issu d’une science, la chimie, souvent laissée pour compte par les philosophes, les sociologues et les épistémologues en raison d’une préférence nette pour la théorie, la physique mathématique ; préférence qui dépend elle-même, dans une large mesure, de grilles d’analyse, ontologiques ou méthodologiques, qui s’appuient sur les frontières, critères et catégories que la chimie subvertit ; grilles de lecture à propos desquelles ce colloque souhaite poursuivre l’investigation.

Un autre objectif du colloque est de favoriser des enrichissements mutuels entre sociétés savantes et chercheurs de domaines différents. A cette fin, et étant données certaines évolutions de la chimie contemporaine dans des départements de biologie et biochimie, l’établissement d’une passerelle sera recherché avec des philosophes de la biologie et de l’écologie, et ce en lien avec des questions liées à la philosophie des sciences et des techniques, au développement d’ontologies relationnelles et processuelles, à des questions éthiques sur les impacts sanitaires et environnementaux de la chimie, et, pour finir, à une réflexion portant sur la nanochimie et les biotechnologies. En ce sens, le Président de l’ISHPSSB, International Society for the History, Philosophy, and Social Studies of Biology, Michel Morange (ENS Ulm), donnera une conférence plénière visant à présenter les derniers travaux en philosophie de la biologie aux chercheurs travaillant sur la chimie. Ce colloque cherche également à favoriser des liens et des enrichissements mutuels avec les chercheurs français qui travaillent sur la notion de substance, l’alchimie et l’histoire de la pharmaceutique, au laboratoire SPHère, comme à l’Université Paris 1, et ailleurs, et ce afin d’interroger, ensemble, les notions de matière(s) et de matériaux qui sont au cœur de la chimie, des sciences des matériaux, de la médecine, et de la problématique, sociétale, des matériaux durables et du développement d’énergies renouvelables. Un lien sera aussi recherché avec les philosophes de la technique. A ce propos, le philosophe des techniques, spécialiste de la philosophie de Simondon, Ludovic Duhem (Université Lille 3), proposera une conférence plénière faisant le bilan des travaux en philosophie des techniques.

La chimie est une source permanente de création d’inconnu. Les corps chimiques ont été disséminés partout dans les eaux, les sols et les profondeurs de la terre, l’air et les organismes vivants. Ils ont été répandus sous de multiples formes et états, solides, liquides, gaz, gels ou colloïdes, fluides à l’état supercritique, plasmas, cristaux liquides, matériaux composites, amas de nanocomposés, et autres formes hybrides, à la fois organiques et inorganiques à l’échelle moléculaire, que nous créons actuellement au laboratoire et à l’usine. Ils agissent à de multiples échelles d’espace et de temps, diffusent inlassablement à travers les roches et nos membranes organiques, et modifient des temporalités locales liées aux processus biologiques ou météorologiques ; bref, ils changent le monde en touchant, indifféremment, tous les vivants et « l’inerte ». L’introduction de cette nouveauté génère une gamme de possibilités relationnelles qui nous dépasse et qui n’est pas sans conséquences sur nos collectifs. Or, enfin, les impacts environnementaux et sanitaires de ces corps ne sont pas connus, et ne peuvent l’être exhaustivement, puisque nous ne pouvons explorer toutes les relations possibles qui participent à les constituer (ce qu’une étude épistémologique des pratiques chimiques utilisées en chimie analytique montre aisément). L’exposition des espèces vivantes aux substances toxiques est un enjeu important, puisque les dommages sur l’environnement issus de ces contaminations pourraient, par un phénomène de boucles d’amplification, être encore accentués. Les productions industrielles et l’utilisation des pesticides notamment sont particulièrement mises en cause actuellement. Ces effets concernent non seulement la genèse de maladies graves chez les adultes, mais également le développement du fœtus et de l’enfant. Nous savons que certains de ces produits se comportent comme des perturbateurs endocriniens qui sont capables de modifier très tôt le comportement physiologique et le développement génital chez les plus jeunes de nos contemporains. Situation qui invite à repenser l’imprédictibilité de l’avenir et la pertinence des notions de risques et de dangers chimiques ; sujets de réflexion que ce colloque souhaite développer.

Nous assistons, depuis une vingtaine d’années, à l’émergence d’un nouveau domaine de la chimie : la chimie verte, souvent également appelée, chimie verte et durable. Cette chimie ne s’identifie pas à la chimie du végétal et à l’importance des « bio-raffineries » dans l’aménagement « durable » du territoire, même si elle peut inclure des travaux sur la biomasse. En 1990, l’Agence américaine pour la Protection de l’Environnement lance le mouvement pour la chimie verte dans le cadre du « Prevention Pollution Act » et définit cette chimie comme l’ensemble « des technologies chimiques innovantes pour réduire ou éliminer l’emploi et la formation de substances dangereuses dans la conception, la fabrication et l’utilisation des substances chimiques ».

Le nom de ce nouveau domaine a de quoi surprendre en premier lieu. Pourquoi ? Parce que, ne l’oublions pas, la chimie est presque toujours associée à la pollution, à la production d’artifices, ou, dans le cas de la France, au souvenir de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001. On pourrait être tenté de suspecter derrière ce nom une opération « d’écoblanchiment » orchestrée en vue de redorer le blason de la chimie auprès des opinions publiques ou d’obtenir des financements pour la recherche dans une période de « développement durable ». Pour autant, et ce indépendamment de l’image publique négative de la chimie, la chimie verte et durable est, bel et bien, un domaine scientifique récent, en pleine expansion, et qui induit, de surcroît, une reformulation graduelle des cadres opératoires, symboliques, conceptuels, et normatifs dans lesquels les chimistes travaillent et donnent un sens à leurs activités, et par l’intermédiaire desquels ils communiquent avec les autres membres de la société. D’où l’intérêt d’une enquête critique et indépendante menée par les épistémologues et les philosophes à son propos que ce colloque souhaite contribuer à développer.

Ce changement en cours, qui pourrait très bien réussir comme échouer, ne correspond, comme nous l’avons montré ailleurs*, ni au concept de révolution scientifique au sens de changement de paradigme défendu par Kuhn**, ni à une révolution exprimée en termes de changement d’ontologie par Alexandre Koyré***. Or des outils conceptuels et des méthodes développés à cette interface dépendent non seulement nos pratiques environnementales, mais aussi l’efficacité et la crédibilité des réglementations chimiques, en l’occurrence dans le cas du colloque, de la règlementation REACH. L’instrumentation environnementale et le développement de capteurs d’un côté, et l’évolution des règlementations chimiques de l’autre, sont en effet couplées. Une technique permet de doser des quantités toujours plus infimes de corps ; mesures dont la stabilisation permet, en retour, de faire graduellement évoluer les normes ISO et les contenus des règlementations. Bref, l’interface qui se met en place entre la chimie verte et durable, différents domaines de la biologie, la toxicologie, l’écotoxicologie et l’écologie correspond à une réalité qu’il convient d’étudier et qui est intéressante pour interroger nos modèles de l’interdisciplinarité. Ce colloque souhaite proposer un symposium sur les rapports entre la chimie, la santé publique, l’environnement, la notion de développement durable et d’éthique environnementale. Il s’agira d’interroger la chimie verte et durable, la mise en place des bioraffineries, l’utilisation de nouveaux catalyseurs dans les procédés verts. Ce faisant, le colloque vise à apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :

  • i) Qu’est-ce que la chimie verte et durable ? Comment et où se mettent en place les travaux mobilisant, à la fois, cette chimie, la toxicologie, la biologie cellulaire, les biotechnologies, l’écologie (mais aussi l’informatique et les sciences de l’ingénieur) ?
  • ii) Comment les méthodes, concepts, et « pratiques environnementales » issus de ce travail interdisciplinaire (analyse du cycle de vie, méthodologie QSAR, éco-conception, écotoxicologie et essais in silico) sont mis en relation et coexistent avec des pratiques environnementales, politiques et sociétales, liées au développement durable et à la régulation des corps chimiques mise en place par la règlementation REACH ?
  • iii) Quels sont les rapports de la chimie à l’environnement ? Comment les penser et les modifier ? Quels liens établir entre la Principe de Précaution, la gestion des risques chimiques et une réflexion philosophique sur le développement durable ?
  • iv) Quels renouveaux de la métaphysique et des conceptions des sciences, des techniques, et du rapport entre les humains et les non-humains, vivants ou inertes, sont nécessaires pour construire un nouveau monde commun ?

Cette approche sera complétée par une conférence plénière proposée par Stéphane Sarrade (CEA de Saclay), un des principaux acteurs français de la chimie verte et des procédés verts utilisant le dioxyde de carbone à l’état supercritique, et par une autre conférence proposée par Augustin Berque (EHESS), géographe, orientaliste et philosophe, sur les apports de la mésologie (science des milieux humains) pour repenser les sciences et les techniques et leurs impacts environnementaux. La mésologie entend le milieu comme la relation spécifique que le vivant en général, et l’humain en particulier, construisent avec l’environnement. Le milieu, ce n’est pas l’environnement, c’est la réalité de son environnement pour une certaine espèce ou une certaine culture ; à savoir une réalité spécifiquement appropriée à/par cette espèce ou cette culture et qu’il s’agit de défendre et de respecter. Réflexion qui participera, nous en formulons le vœu, à susciter des travaux reliant philosophie des sciences et des techniques, épistémologie, éthique et philosophie politique ; objectif important de ce colloque.

* Llored J.-P, « Towards a practical form of epistemology : the example of sustainable chemistry », in Practical realism towards a realistic account of science, Lohkivi, E. & Vihalemm, R. (eds.), Studia Philosophica Estonica, vol. 5, n° 2, 2012, p. 36-60.
** Kuhn, T. The Structure of Scientific Revolutions, Chicago (Il), University of Chicago Press, 1962
*** Koyré, A. Du monde clos à l’univers infini, trad. Raïssa, T., Paris, Presses Universitaires de France, 1962

 

 

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